GABY, mon spectre
Re-Génération
Au commencement, il y a une radio. Une émission radio pour ne pas rompre le lien entre ceux qui sont enfermés chez eux et des théâtres interdits d’ouvrir.
Hugo, ce présentateur radio que nous écoutons, voudrait nous faire croire que nous ne sommes pas séparés. Il n’est pas médecin mais il essaye à sa manière de réparer le monde. Il ne veut pas se résigner à déposer les armes. Il veut continuer à créer même si on l’en empêche, même si son travail de mettre en scène des acteurs sur une scène est répréhensible.
Nous l’écoutons assis dans nos gradins, un casque audio sur les oreilles, et nous le regardons devant cette scène obstruée par un mur. Un quatrième mur bien solide, bien visible qui empêche toute représentation.
Avec lui, une femme, Nora, une actrice avec qui il vit. Elle s’asphyxie de ne pas pouvoir jouer.
Ils devaient créer Hamlet de Shakespeare ensemble mais là, ils ne peuvent que se souvenir de ce qu’ils ont partagé entre eux et avec nous. Cette nostalgie abîme leur relation comme si notre absence, l’impossibilité de se réunir avec un public, faisait écho à la difficulté qu’ils avaient aujourd’hui d’être ensemble.
Il ont beaux être là, à quelques mètres de nous, ni sur scène, ni dans les gradins, ils ne nous voient pas. Ils sont perdus dans les limbes de cette représentation impossible. Ils sont incapables de sortir de cet entre-deux.
C’est le spectre de Gabriel Monnet, homme de théâtre, qui va les pousser à transgresser les interdits. Comme si la radio lui avait demandé de revenir pour transmettre son histoire : les veillées dans le Maquis du Vercors quand il était résistant, les stages de théâtre avec des amateurs à Annecy, la création du concept de Maison de la Culture à Bourges, la résistance permanente à toute forme d’autoritarisme.
Dehors, c’est la jeunesse qui a décidé de ne plus suivre les injonctions à rester enfermés. Ils se rassemblent et reprennent possession de l’espace public, des biens publics comme ce théâtre où nous sommes assis. Les caméras de surveillance captent leur présence. Ils squattent la scène. Ils sont derrière le mur. Ils réorganisent les traces d’imaginaire abandonnées sur scène.
Le théâtre est le lieu de l’incarnation des fantômes dans une société ivre d’amnésie. La fameuse réplique « Time is out of joint » dans Hamlet, traduisible par « le temps est à l’envers » donne à entendre un monde qui ne sait plus s’il faut regarder devant ou derrière soi. Un temps replié sur lui-même, seulement témoin de lui-même. Un temps qu’Hamlet doit déplier s’il ne veut pas nier son avenir au lieu de construire un futur possible.
Gabriel Monnet en bref…
Gabriel Monnet, résistant pendant la guerre de 39/45, instructeur national de théâtre à la Libération, animateur de stages à Annecy, acteur et metteur en scène à la Comédie de Saint-Étienne avec Jean Dasté, directeur et créateur de la première Maison de la Culture à Bourges, du CDN de Nice et co-directeur du Centre Dramatique des Alpes à Grenoble jusqu’en 1981 où il donne les clés de la direction à Georges Lavaudant. La trace qu’il a laissée, en particulier à Bourges, est profonde. La création de la Maison de la Culture a été une utopie théâtrale, artistique et citoyenne. Une aventure humaine inédite entre un théâtre, une ville et ses habitants où s’écrivent tous les espoirs, de la démocratisation culturelle, du théâtre de service public.
JULIEN BOUFFIER, metteur en scène
Julien Bouffier dirige la compagnie Adesso e Sempre depuis sa création en 1991 en Occitanie. Comédien et metteur en scène, il a monté une trentaine de spectacles dont Suerte de Claude Lucas, Les Vivants et les Morts de Gérard Mordillat, Le Début de l’A de Pascal Rambert, Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon et Andy’s gone de Marie-Claude Verdier.
Créateur du festival Hybrides, il est également conseiller artistique à la programmation du Printemps des Comédiens, suite à son initiative de créer le Warm up, temps fort au sein du festival, qui ouvre une fenêtre sur le travail en cours des compagnies, leur faisant ainsi bénéficier de la visibilité et de la renommée du festival montpelliérain.
Du 2 au 20 septembre 2024
• Résidence de création •
Texte :
Julien BOUFFIER, à partir des entretiens de Gabriel Monnet avec Pascal Ory et l’Hamlet de Shakespeare
Mise en scène :
Julien BOUFFIER
Interprètes :
Jean VARELA, Vanessa LIAUTEY, Gaëtan GUERIN et un chœur d’amateurs
Lumière :
Georges LAVAUDANT
Vidéo :
Laurent ROJOL
Musique :
Jean-Christophe SIRVEN
Création costumes :
Catherine SARDI
Productions
• Résidence de recherche, du 13 au 25 mars 23 / Domaine d’O (34)
• Résidence de création, du 4 au 13 septembre 23 / Le Chai de Mèze (34)
• Résidence de création, du 22 au 30 janvier 24 / Maison de la Culture de Bourges (18)
• Résidence de création, du 1er au 5 avril 23 / Théâtre dans les Vignes (11)
• Résidence de création, du 2 au 20 septembre / Hangar Théâtre (34)
© photo : Marc Ginot